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Date de création : 31.07.2009
Dernière mise à jour : 19.12.2022
32 articles


Textes généraux

Le Peuple pied-noir

Publié le 29/04/2011 à 21:40 par badiacaricaturesafn Tags : pied souvenirs exil santacruz oran france enfants travail histoire bonne amis femmes livres patrimoine
Le Peuple pied-noir

Il était une fois des milliers de petits garçons et filles vivant en Algérie, dans les milliers de villes et villages répartis sur tout le territoire qui allaient à l’école, grandissaient, jouaient, ne se doutant pas un seul instant de la catastrophe qui les attendaient. Car, il faut bien parler de catastrophe humaine, provoquée par l’exil et les dommages collatéraux qui ont suivis.

Mais le peuple pied-noir a hérité de ses ancêtres toutes leurs qualités, celles des pionniers.

En venant en France, ou ailleurs sur la planète, il ne s’agissait plus de défricher des terres incultes, d’assécher des marais, de lutter contre le climat et les maladies, de bâtir un pays. Il s’agissait de construire sa vie, sa famille, de faire sa place.  Tous l’ont fait, dans l’honneur et la droiture, dans l’amour du travail bien fait, dans le respect de la parole donnée.

Maintenant, que tous ces petits garçons et ces petites filles sont devenus vieux, ils témoignent. Le sites qu’ils ont créés sont nombreux, émouvants. Tous recréent cette vie d’avant, cette vie où ils étaient jeunes, insouciants et installés dans leur terre natale pour mille ans.

Nous sommes des «Muhadjirouns» des exilés, des vrais sans espoirs de retour, sans espoirs tout court. Seuls restent nos souvenirs amplifiés par la nostalgie, que nous partageons à longueur de page sur le web ou dans des milliers de livres édités souvent à compte d’auteur. Nos publications deviennent nos racines. Elles veulent remplacer celles qui furent coupées brutalement une année maudite de 1962.

Qui peut nous comprendre? rares sont les hommes et les femmes de bonne volonté qui puissent accéder à comprendre cette souffrance.

Mais malgré tout cela, le peuple pied-noir qui va disparaître, comme toute chose vivante d’ailleurs, ne perd pas son caractère. Cette joie de vivre, cette bonne humeur et ce bruit qui le caractérise. Ce bruit de la parole et du geste dont on lui fait reproche encore aujourd'hui. Ce bruit qui cache ses pudeurs, ses tristesses et sa peine immense de l’Algérie perdue. Ce bruit qui est notre marque de fabrique.

Ces milliers de petits garçons et de petites filles se retrouvent maintenant autour de la toile, partageant leurs textes d’avant, recroquevillées ensembles comme pour se tenir chaud dans leurs derniers moments.  Leurs histoires, nos histoires seront les monuments de notre patrimoine national. On les visitera comme on visite un château perdu. Leurs enfants, leurs amis, les anonymes profiteront de ce jour annuel du patrimoine pour leur rendre l’hommage qui convient.

Notre histoire est grandiose, nous étions des petites gens, nous sommes devenus grands.   Malgré toute la rancœur que nous pouvons nourrir contre les politiques d’antan, la France nous a permis une vie bien meilleure que celle que nous avions quittée. Et ceci à tous les niveaux: économique, social et culturel. En échange, nous lui avions donné nos grands-pères, nos pères, nos frères pour la défense de la Liberté. Dans la France, ce grand pays, nous avons construit nos familles, nos vies. A l’heure des bilans, sans haines, sans regrets nous pouvons être fiers de nous.

Vive le Peuple pied-noir dont je suis. 

L’Algérie, c’est ma plaie ouverte.

Publié le 29/04/2011 à 21:24 par badiacaricaturesafn Tags : algerie sainteugène maupas kémia pulson carico oran chez monde mer france belle histoire film pensée voyages maroc
L’Algérie, c’est ma plaie ouverte.

Le carico à roulements

 

On est de son enfance comme on est d'un pays (St-Exupéry)

C’est vrai, nous sommes toujours du pays de notre enfance.  

L’Algérie, c’est ma plaie ouverte.

Pour me soigner! mes voyages sur la terre natale.
Mes remèdes! mes rencontres chaleureuses, amicales comme avant; Avant la blessure qui ne se cicatrise pas.
Pour moins souffrir! ma pensée, ma lucidité, mes analyses.

On n’a pas su partager. On n‘a pas pu. En avions-nous  le pouvoir en bas ? nous le petit Peuple.  Le pays est si grand, si beau. Sa poussière me manque, comme ces sirènes de bateau amarrés aux quais. Ses chemins caillouteux bordés d‘oliviers ventrus n’existent plus. Il y a l’autoroute. Triste consolation, elle est gratuite. Nous sommes peu à comprendre, à nous comprendre. 

Se promener à Oran, dans les rues, maintenant, en juin 2009, et ne rien voir de ce qui est, pour ne se souvenir de ce qui fut. Tu vois, dis-je à Nadjib, mon jeune accompagnateur et ami, en arrivant près de l’hôpital civil, c’est là que je suis né. Il n’a pas entendu. Je n’ai pas prêté attention au trou béant près du trottoir, où stagnait une eau noirâtre, près de l’entrée.  C’est que, je n’ai pas l’intention de souffrir plus ici à Oran que là-bas en France. Lui non plus ne voit rien, mais pas pour la même raison. Il a l’habitude.

Les immeubles dégradés, rue d’Arzew, où sur quelques façades poussent un salpêtre hardi. En pleine ville, on a peint des slogans publicitaires sur un panneau, comme ici, mais à la main. Les voitures, nombreuses, le frôlent tout le temps, il finira par tomber, mais personne ne s’en occupe. Chacun est occupé à parler. On parle tout le temps, en marchant, en téléphonant, assis ou en buvant son thé. C’est la ville de la discussion permanente, du brouhaha chaleureux.  Mais que disent-ils?

Au boulevard front de mer, grandiose balcon ouvert à tous les rêves, n’en déplaise à Camus, se promènent des jeunes gens, seuls ou en groupes, ils rient parfois. Les jeunes filles voilées à moitiés, habillées de jeans ou bien en robes longues, c’est le contraste, croisent leurs regards. En passant tout près d’eux, elles baissent les yeux. La pudeur? la crainte? la tradition? c’est que le jugement est vite porté. Nous sommes en Méditerranée, et la distance entre l’orgueil et la fierté, l’arrogance ou la timidité est vite franchie.  Mais la jeunesse n’en a cure, c’est le printemps qui gagne.

Le soir tombe doucement, et mon regard se porte invariablement sur la montagne de Santa Cruz à l’Est. Elle m’attire. Tant d’espagnols l’ont gravie, des guerriers. Et puis ce Fort, quelle histoire? pour le protéger des attaques venant du Sud, el Señor Don Alvaredo, le gouverneur de l’époque, au XVIIIème siècle, fit creuser une tranchée. Véritable saignée qui s’harmonise maintenant avec elle, à tel point qu’on la croirait naturelle. Il en a fallu des hommes et des pics,et de l’eau. Mais, le résultat fut efficace. Le Fort fut sauvé. 

La sirène d’un bateau soviétique amarré au quai du Maroc, mugit gravement. Il quitte le port tiré par un remorqueur de la capitainerie. Aussitôt, une nuée de mouettes s’éparpillent autour, le cuistot doit sûrement jeter par-dessus bord, les restes des repas. Bientôt, il n’est plus qu’un point à l’horizon. On me l’a dit, il se rend à Novorossiisk, un port  sur la mer noire, c’est un long parcours. 

Le ciel est clair, c’est bientôt l’été, et les souvenirs affluent  en cascades, ceux d’avant....  C’est l’heure de la Kémia et des nouvelles sportives autour du comptoir chez Pulson, un café au coin de la rue Maupas, à Saint Eugène, quel quartier! Les hommes mangent debout, et parlent très fort, d’autres jouent aux cartes espagnoles, à la Briska. La salle est pleine comme d’habitude.

Nous sommes jeunes, mais tous travaillons déjà. Il faudra se préparer pour aller au cinéma ce soir. Se préparer, c’est se laver, cirer ses chaussures, se coiffer avec la brillantine Roja.  La chemise blanche, bien repassée est de rigueur. Les copains s’attendent pour discuter du film à voir, mais le choix est difficile. C’est que, les salles de spectacles sont nombreuses et les films attirants.

Finalement tout le monde tombe d’accord pour voir Daniel Gélin, mais surtout la belle Nicole Courcel, dans  «Le Rendez-vous de Juillet» de Jacques Becker, c’était en  1952, à l’Olympia de Saint-Eugène. 

58 ans sont passés.     Demain est un autre jour.

L' Oranie espagnole

Publié le 13/11/2010 à 20:42 par badiacaricaturesafn
L' Oranie espagnole

Oran et les Espagnols


À propos du livre : « L’Oranie espagnole, Approche sociale et linguistique»
de Lamine Benallou parue aux éditions Dar el Gharb à Oran fin 2002.



Que reste-t-il  actuellement de la langue espagnole à Oran et dans l’Oranie? On serait tenté de répondre, pas grand-chose, sinon rien. D’autant plus, qu’avec la loi de l’arabisation de l’enseignement à l’école fondamentale, même le Français est mal en point. Dans le désir de se libérer de la tutelle française, les gouvernants algériens, avaient songé un moment de le remplacer par l’Anglais. Ce fut un échec. Les liens qui unissent les Algériens à la France malgré l’Histoire, malgré la guerre demeurent solides, ne serait-ce que part la réalité de l’immigration. Aujourd’hui encore, le Français est vivace. Il est partout.

Il n’en est pas de même avec l’Espagne, et pourtant !

Historiquement, Oran et l’Oranie s’étaient distinguées du reste de l’Algérie par l’origine de sa population en majorité espagnole. Les Espagnols ont occupé Oran, Mers El-Kébir et les alentours immédiats pendant deux siècles et demi (de 1505 à 1708 puis de 1732 à1792).  Faut-il le rappeler ?  Déjà à partir de 1391, la côte Ouest accueille les exilés Juifs andalous, puis en 1492 les bannis Juifs et Morisques réunis dans le même drame, mais aux destinées si différentes. Les arrivées se poursuivront jusqu’en 1606.

Pendant l’occupation espagnole, les échanges de population entre la péninsule et les Présidios continuent. Oran abrite, outre les soldats de la garnison, des bannis, des Juifs et des Arabes andalous convertis appelés Mogatazes (de l’arabe : baptisés) qui habitaient à Oran dans des quartiers spéciaux : les Douaires.

Jusqu’en 1830, vivaient encore à Oran des Juifs et une colonie espagnole qui ne s’étaient pas résolues à quitter leur sol natal, malgré le terrible tremblement de terre de 1790 et la présence turque. À partir de 1831, les Français occupent la place d’Oran. Pour l’anecdote, ils y trouvent aussi un seul Français du nom de Gaillard (Gallardo).

Cette présence espagnole en oranie, est si enracinée que Franco en 1940, tente de négocier son alliance avec l’Allemagne en guerre contre la cession de l’Oranie et du Maroc à l’Espagne. Ce fut l’échec de « l’Opération Cisneros»1.

Les Français qui assurent une sécurité par leur présence vont créer à l’Ouest algérien un pôle attractif pour des milliers d’immigrants ; le développement de l’implantation coloniale et militaire exige une main d’œuvre agricole et artisanale. Les Espagnols2 qui fuient la misère du Sud de l’Espagne s’installent à Oran et dans les alentours. Ceux du Nord préfèrent Alger. La langue espagnole est partout présente. Il y a des journaux en langue espagnole. Un candidat aux élections municipales fait sa campagne électorale en espagnol au grand dam des autorités françaises. D’abord cantonnés au quartier de la marine qu’ils partagent avec les Procidiens3 (de l’île de Procida), ils se déplacent vers les hauts de la ville. Celle-ci se développe rapidement et absorbe un nombre de plus en plus important de nouveaux arrivants espagnols. Les derniers seront les « Réfugiés » qui désignaient ceux qui fuyaient la dictature franquiste. Ils sont originaires de toutes les régions d’Espagne, principalement de Valence et de Catalogne. Un grand nombre d’entre eux arrivent en 1939. Des contingents de réfugiés, sont déportés dans des camps au Sud, ou même en prison. D’autres s’engagent dans la Légion étrangère où ils combattent sur tous les fronts pour la France.

Pendant ce temps, la langue oranaise en tant que telle, se développe, et s’enrichit des apports des nouveaux arrivants qui l’apprennent très vite.

Une telle histoire inter-culturelle entre l’Espagne et l’Algérie a laissé des traces indélébiles sur toutes les couches de la population. Lamine Benallou a saisi et souligné cet aspect, en insistant sur la notion d’ « héritage linguistique ». Cette notion accentue les liens d’appartenance linguistique au lieu géographique « Méditerranée » par-delà le temps et les clivages politiques.

Pendant la présence française (1831-1962), malgré l’école obligatoire et les instituteurs républicains, la langue espagnole s’est installée dans l’Oranie. Cette langue va évoluer et se transformer au contact de la langue française pour devenir un langage particulier en la transformant à son tour. La langue française va incorporer l’Espagnole au-delà des mots, pour devenir un « Français local » dans lequel écrit Lanly4 :  «transparaît le substrat espagnol ».

Après le départ des Français d’ Oranie, « les Pieds-Noirs », la langue arabe est devenue langue nationale. Le Français maintenant langue étrangère se maintient comme entité, c’est la langue de prestige, mais l’Espagnol tend à disparaître. La « contamination espagnole » de la langue arabe, s’est produite principalement à Oran dans les quartiers périphériques où se côtoyaient les populations arabes et celles d’origine espagnole : Victor Hugo, Sidi-Chami, le Petit-lac, Lamur, le village nègre, ainsi que dans quelques villes et villages avoisinants. L’Espagnol va se maintenir plus par des mots qui viennent s’insérer dans la phrase arabe que par des tournures particulières. Le dialecte arabe oranais s’enrichit de ces mots et de ces formes nouvelles d’où une nouvelle langue locale oranaise.

Lamine Benallou5 avait publié en 1992, un dictionnaire des hispanismes dans le parler de l’Oranie où l’on découvrait que ces mots espagnols étaient employés dans une multitude de situations et dans les métiers de la mer. D’emplois journaliers, ils apparaissent dans les phrases, sans que le locuteur sache toujours qu’il s’agit de l’espagnol. Ils font partie intrinsèque de sa langue, de sa personnalité. Par cet aspect, l’oranais algérien ressemble à la langue oranaise d’avant 1962. Son dialecte arabe s’est hispanisé. Il a inventé à sa manière sa langue, comme nous avions créé la nôtre.

À ce propos, les deux livres de l’historien oranais, Amédée Moréno6«, sont incontournables. L’auteur y décrit cette langue locale oranaise et oranienne qui s’est construite entre 1830 et 1962 dans « Les parlers d’Oran et d’Oranie».  Son étude démontre que cette nouvelle langue « empruntait »sans vergogne tout ce qui l’intéressait aux autres langues et principalement à la langue espagnole.  Mais il montre surtout qu’au-delà de la langue qui faisait partie de la personnalité même de l’Oranais, elle le constituait en quelque sorte.

Il ne s’agissait pas de Sabir ou de Pataouète, termes à connotation péjorative, mais de langue nouvelle, malheureusement appelée à disparaître. Pour conclure ce point très important, il y a une dimension difficile à rendre; celle du plaisir que les locuteurs éprouvaient à parler cette langue, ils en jouaient.

Les dictionnaires, les études et les monographies, les « paragoge, métathèse, prothèse et aphérèse » pour ne citer que quelques termes savants de la phonétique et de la phonologie ne peuvent pas le rendre. Le plaisir à communiquer dans cette langue « chapourra », avec  le fameux « joér, tché ! » introductif, véritable « mot de passe » des oranais, qui ponctuait pratiquement toutes leurs phrases.

Quel plaisir de dire à son copain en criant (les oranais criaient pour parler) : « joér, tché  néné ! tia vu le jampoillo de Juanico ! pour qui il se prend, pour Johnny ou quoi ? je l’ai vu à la calère avec une jandora  entouré d’une catelfa de gosses. Son père est arrivé et dalé que dalé, la jamansa de palos qu’il a reçue, qu’il est resté comme un estropajo. Mais Juanico est tant engantché de cette fulana, qu’il lui a donné un espolson à son père pour s’escaper ».  A lire et à comprendre avec le dictionnaire de Moréno.

Les anciens oranais n’auront aucun mal à lire cette phrase. Elle fait partie d’eux-mêmes. Les plus jeunes éprouveront peut-être du plaisir à leur tour en découvrant dans les livres d’Amédée, la « pensée profonde ! » qui se cache derrière ces phrases.

L’Oranie espagnole, Approche sociale et linguistique de Lamine Benallou, en étudiant les influences hispaniques en oranie, montre que l’héritage continue sous une autre forme.

Ces deux études, celle de Lamine Benallou et celle d’Amédée Moréno nous instruisent, l’une du présent, l’autre de notre passé. Œuvres d’universitaire ou d’historien, elles témoignent de la vie. La langue c’est la vie.  Elles relient les hommes par-delà leur nationalité, leurs pays, elles sont émouvantes. En cela, elles dépassent leurs auteurs.  Nous leur en sommes reconnaissants car il s’agit de notre histoire.

À la lecture des pages de l’Oranie espagnole, bien que ne sachions pas assez l’Arabe pour pénétrer les entrelacs des phrases, nous aimons penser que, comme nous, les oranais algériens éprouvent du plaisir à tordre les mots et les phrases de leur « oranais local hispanisé ».

Lamine Benallou, universitaire, né à Oran en 1958. En 1994, il s’installe en Espagne où il poursuit ses recherches. Depuis 1984, il a écrit plusieurs études et ouvrages sur les rapports et les apports de l’espagnol à Oran et en Oranie. Son dernier livre est une étude très intéressante sur l’emploi actuel, des mots espagnols dans le langage courant des oranais et oraniens. Il l’éclaire d’un jour nouveau en nous invitant à le découvrir dans la vie quotidienne. Il nous informe de la réalité de la vie linguistique à Oran, tant d’années après le départ des populations européennes. Son étude est à mettre entre toutes les mains oranaises et oraniennes !

 

 

Notes-

1 Bernard Zimmerman: Migration des espagnols en Oranie-1830/1962.
2 Jean-Jacques Jordi: Espagnols en Oranie, Histoire d’une migration (1830-1914), Ed. Jacques Gandini, Nice, 1996.
3 Jean pierre Badia:Les Procidiens d'Oran - 1998
4 A.Lanly: «  Le Français d'Afrique du Nord -Etude linguistique»  Bordas, 1979.
5 Lamine Benallou: L’Oranie espagnole, Approche sociale et linguistique, Ed. Dar el Gharb, Oran, 2002.
6 Amédée Moréno: Le Parler d'Oran et d'Oranie,  2 volumes- Edit° J.Gandini-1995-1999.

 

Bibliographie de Lamine Benallou
1984-Essai de bibliographie linguistique algérienne. OPU, Alger
1988-A propos de quelques hispanismes employés dans le parler d’Oran.
1992-Dictionnaire des hispanismes dans le parler de l’Oranie. OPU, Alger
1996-Des hispanismes en Oranie. In Méditerranée Magazine N° 14
1998-Les porteurs de parole. L’Harmattan Paris.
2002-L’Oranie espagnole.  Approche sociale et linguistique.  ISBN/ 9961-54-179-0





















Ma rencontre avec Albert Camus à Oran

Publié le 24/08/2009 à 12:30 par badiacaricaturesafn Tags : oran roblès pedro de linares badia camus dieu voyage moi heureux merci femme belle chez france photos homme nuit amis mort film texte dessin
Ma rencontre avec Albert Camus à Oran


Albert Camus à Oran au n° 65 de la rue d’Arzew.

Avertissement au lecteur:
Vous lirez dans certaines parties du texte, des mots ou expressions typique du langage oranais.  A la fin du 4ème texte, se trouve un petit lexique explicatif.


Albert Camus, né le 7 novembre 1913 à Mondovi en Algérie et mort le 4 janvier 1960 à Villeblevin dans l'Yonne.  Il se trouve à Oran du 14 janvier 1941 au 28 mars 1942. Il habite chez sa belle-famille Faure à la rue d'Arzeu.


 

Ma rencontre avec Albert Camus à Oran.


Je me suis rendu à Oran, ma ville natale, en Juin 2009, «où j’étais né pauvre, sous un soleil heureux ». J’avais beaucoup de choses à faire et à voir. C’était un retour, j’y étais déjà en juin de l’an dernier où j‘avais rencontré des tas de gens, et visité des tas d’endroits familiers. Mais, l’émotion du voyage après plus de 17 ans d’absence pour cause d’insécurité, ne m’avait pas permis de tout apprécier. J’étais comme dans un nuage, et les jours ont filés à la vitesse de l‘éclair.  Il fallait revenir. Me revoici sur la terre natale.

Cette fois-ci, plus détaché, un peu plus à l’aise, j’ai retrouvé des repères plus récents. J’ai été plus indulgent pour l’hygiène, déjà habitué? La foule en majorité masculine. Ça surprend. Cette fois, outre les visites obligatoires, j’avais envie de réaliser de grandes choses, faire des rencontres intéressantes, marquer mon séjour. Mais quoi?

Par une coïncidence, extraordinaire,  le samedi 6 juin au soir, jour de mon arrivée, je me trouvais au bar Pulson à Saint Eugène, étape obligée, pour un ancien. Je revois, un ancien copain de Chollet, Pierre Pardo dit de Linarès, le chanteur bien connu et aimé des oranais, qui me dit: «Tu sais Jean Pierre, hier matin en descendant à la calère, j’ai rencontré Emmanuel Roblès à la pêcherie,  qui se tapait une grillade de sardines avec des amis. Il fêtait son départ pour la France, après m’avoir raconté des choses incroyables. Il a failli mourir deux fois dans un accident d’avion. incroyable! Il a eu le temps de m’informer de la présence d’Albert Camus à Oran».

- Il est arrivé quand?       
- le 14 janvier    (C’est l’année 1941)           
Ah! oui, et où il se trouve ? 
Pos, chez sa famille, les Faure de la rue d’Arzew. Christiane sa belle-mère, leur a prêté un appartement.   

Heureux d’apprendre cette nouvelle, je me dis, voila une grande chose à réaliser. Il faut que je le rencontre. Malheureusement, je ne verrais pas Emmanuel Roblés, il part demain, mais Camus, je ne le rate pas.                                                                 
-Allez tchao, et merci pour les nouvelles. Pedro! ta chanson « Ay Oran», que le cœur elle traverse!. 

Je laissais à regret, Pedro et d’autres connaissances  à  leur kémia d’escargots à la sauce tomate piquante étalées sur le comptoir en zinc, et rentrais à la maison, sachant que la nuit venait à peine de commencer pour eux. Ils allaient de gorra à un mariage. Avec le talent de Pedro, la guitare de Diego et son morceau fétiche «Adélita», les invités n’allaient pas s’ennuyer.

La rencontre.

J’avais encore devant moi, une semaine bien remplie. Des gens à voir, des missions à accomplir, des photos à prendre. Je devais aussi me préparer à la rencontre.  Je prévois de rendre visite à Albert Camus chez lui, au 67 de la rue d’Arzew- Camus dans sa correspondance avec son ami Pia, écrivait rue d’Arzeu. J’étais impatient et en même temps gêné d’arriver au débotté, mais l’occasion était unique. Camus à Oran, dans cette ville qu’il n’aimait pas. Mieux, il n’aimait rien d’elle, ni ses habitants, ni ses monuments, ni ses statues. De la Mairie il écrivait: « c’est une maison prétentieuse», quand aux lions: «une œuvre sans importance».  On allait pouvoir en discuter. Me voila parti, ce vendredi 12 juin, de Victor Hugo, où j’étais passé voir des amis d’enfance.  J’ai choisi ce jour, parce qu’en Algérie, il correspond à notre dimanche, et tout est fermé dans la ville. Pour un  étranger comme moi, un Gaouri,  c’est l’ennui assuré. C’est moi l’Etranger?

Par contre, c’est un bon jour pour les visites. Je remonte toute l’avenue Sidi Chami, en passant devant la B.A.O de la famille Heintz, puis je file vers le pont St Charles, et après quelques détours, tiens, la Gare a été refaite à neuf!, me voici en ville. J’arrive sous les arcades Audéoud, devant la porte. Je traverse la rue, et me met en face pour voir le balcon du premier étage. J’avais un certain nombre de sujets à discuter avec lui, et des sujets qui me tenaient à cœur par rapport à ses écrits sur Oran. Et, croyez-moi des points importants pour un oranais, du style: «Oran n’est pas fait pour les oranais, Oran tourne le dos à la mer, une ville de pierre, elle est laide, on s’y ennuie et il assène: «une ville indifférente que je quitterai dès que possible». De plus, il se moque des  jeunes oranais qui se prennent tous pour des Clark (Gables) et les filles pour des Marlènes (Diétrich). Ils se travestissent dit-il. Ce qui est grave, des clowns en quelque sorte.

Des écrits au vitriol, qui énervent, qui font mal, et qui ont fait les beaux jours des algérois, jusqu’à maintenant ou presque.

Mais lui ne se critique pas. Dans son imper gabardine, le chapeau vissé sur son crâne, la cigarette au bec, ne veut-il pas ressembler  à Humphrey  Bogard? à point nommé, le film:  «Îles de furie» avec cet acteur passait cette semaine au Roxy du boulevard Hyppolite Giraud. Il l’a vu.  Comme nous, il s’est laissé impressionné par les films américains.  Il est jeune, c’est un homme  de son époque.  Moi je le comprends. Il veut se donner un genre. Je n’écris pas: «il se déguise».

J’ai de la chance, je le trouve accoudé au balcon, il est à peine dix heures du matin. Le temps est splendide, comme d’habitude en cette époque de l’année. Les autos pompes avaient déversé ce matin, des tonnes d’eau dans les rues, après que les employés aient balayé. Cela sentait bon le frais. En levant les yeux, je remarque le dessin des fers forgés du balcon, et je m’émerveille, de l’imagination des ferronniers oranais qui les avaient fabriqués.  A Oran, tous les fers forgés des balcons étaient différents. Et Dieu sait s’il y en a! Ils rappelaient ceux de l’Espagne. Il fallait qu’ils soient beaux pour la sérénade des amoureux.  La belle en haut, l’amoureux en bas, qui sifflait pour l’appeler et le père pas loin, con el palo. Malgré sa maladie, il fumait. Une cigarette à la bouche, distrait, il regardait une vieille femme en bas, dans la rue, s’affairer avec un ballot de linge trop lourd pour elle.   Personne ne faisait attention à elle, les passants nombreux allaient et venaient.

-Je l’appelle: « Albert, tu descends?  ( cela me rappelle le sketch des inconnus «Eh! Manu, descends». «Pourquoi faire?»  etc...).  Le bruit de la rue étouffe ma voix. Il ne m’entend pas tout de suite, trop occupé à regarder cette femme. Celle-ci, mettait son ballot de linge sur le dos, il retombait de l’autre côté, et se défaisait. Avec une patience d’ange, elle arrangeait le tout, reformait le nœud du sac, puis d’un coup sec, le remettait sur l’autre épaule, et patatras, le ballot s’ouvrait, tout était à recommencer. On aurait dit qu’elle n’avait rien à faire d’autre que faire et défaire ce paquet. Trois fois le manège recommencé, elle réussit, puis part enfin, son énorme sac sur le dos. Il n’est pas lourd, juste encombrant.

C’est sûrement, cette situation qui l’a inspiré  pour écrire le Mythe de Sisyphe. Plus Sisyphe que le Mythe.  Non!  je plaisante naturellement.




à suivre,

Cliquez sur  "son ajouté" et écoutez " Adélita"  de Diego Bernal, un chanteur d'Avignon

Ma rencontre avec Albert Camus à Oran

Ma rencontre avec Albert Camus à Oran

Badia chez Camus à Oran en 2010



Enfin, il regarde la rue et me voit.  Il n’est même pas étonné, on ne s’est pas vu depuis fort longtemps, je dirais même jamais.  Je lui avais écrit plusieurs fois en parlant de ses livres, de mes questions sur Oran et sa façon de le décrire , de la peine ressentie par les oranais, sans réponses. J’avais trouvé cela normal, il est toujours occupé, un livre au feu. Mais j’avais tellement lu et apprécié son œuvre qu’il me semblait l’avoir déjà rencontré.  Si ses écrits sur Oran nous séparaient, nous avions en commun l’amour de la littérature russe, encore que l’allusion de «Klestakoff» est dure à digérer.

- Salut Jean Pierre, que fais-tu par ici?
Je viens te voir, j’ai à te parler sérieusement.
Joël, con esa calor ?
Je t’en prie, n’ajoute pas. Il fait aussi chaud à Alger, en cette saison.

Il pensait qu’il faisait plus chaud à Oran que dans sa ville, mais là ce n’était pas un compliment.

C’est vrai, no te enfades varon, ya vengo,dit-il.

Il faut dire que les pieds noirs d’une façon générale, n’avons pas trop le sens de l’humour, ou alors un  bien à nous. On aime la burla, ou le trait d’esprit qui fait mouche. Par exemple, Pierrot le facteur, un de mes amis, parlant d’un copain qui était malheureusement de petite taille, me demande: « Ola, nene, como il va le tapon de balsa?» Une répartie sans pareille, que seuls les oranais peuvent apprécier. Ce n’est pas du pataouète!». Le pataouète est algérois, nous, c’est le Jaïco, une langue à nous. On s’amuse avec les mots et les phrases. Un peu d’espagnol, du barbarisme disait nos professeurs, un peu d’arabe, et un français à notre convenance.  On excelle à ce jeu. Ou plutôt, on excellait, car avec le temps on oublie.

N’est-ce-pas Amédée Moréno?

Camus parlait un espagnol imparfait, pourtant c’était la langue de sa grand-mère, mais chez lui on parlait français. Il l'avait apprise au lycée tout seul.  Ici, c’était la langue nationale. En me parlant ainsi, il voulait montrer son intégration provisoire. Comme pour se faire pardonner de certains de ses écrits. Il savait qu’il allait rencontrer un oranais, un pur, alors, il faisait le manso. 

-  Dis Albert, j’attends. Tu prends ton vélo, ou on marche?
On marche. Donne-moi dix minutes, je mets une chemise propre et j’arrive.

Malgré mon calme, j‘étais quand même un peu excité. C’était quelqu’un ce monsieur. Mais devais-je le laisser dire toutes ces buras sur Oran ? les espagnols auraient dit «burradas» mais chez nous, on avait l’habitude de manger le début et la fin des mots. Astucieux non? Pendant l’attente, je préparais mes arguments. Par lequel commencer ? ce qu’il avait écrit contre la jeunesse d’Oran ou bien son histoire de la ville qui tournait le dos à la mer ? oui! par cette histoire, c’était un des principaux reproche, parmi tant d’autres. 

En fait ces mots n’étaient pas de lui, il les avaient «empruntés» au géographe Lespès qui dans son ouvrage sur Oran paru en 1938, avait écrit: « Le paradoxe d’une ville qui regarde la mer, mais ne la voit pas». Camus a interprété cette phrase en écrivant: «Oran tourne le dos à la mer».  Dans la phrase de Lespès, il y a impossibilité physique: on veut voir, mais on ne peut pas. Chez Camus, c’est une volonté, c’est délibéré, on tourne le dois. Comme si on n’aimait pas la mer, autant que lui! 

De plus, cette analyse de Lespès, juste au demeurant, concernait la vieille ville, c’est-à-dire la Calère et la Marine, et non pas les beaux quartiers où il résidait. Les immeubles luxueux où il vivait, n’avaient rien à envier à ceux d’Alger. D’ailleurs, ils leur ressemblaient presque en tous points. Les terrains du plateau ceux vers l’Est et le Sud encore vierges attendaient les autorisations gouvernementales pour se développer, les promoteurs immobiliers et les  requins de la spéculation aussi. Albert Camus, à son corps défendant aurait-il pris leur partis?



Ah! le voila. Tiens, je le croyais plus petit. C’est un bel homme, presque la trentaine, un peu pâle tout de même, mais leche! on ne peut pas être bon partout.  Il est svelte et sent l’eau de Cologne ambrée. La chemise est impeccable, blanche, bien repassée, le col amidonné. Francine a bien fait les choses, à moins que ce ne soit la domestique. Il avait appris au moins ça des oranais. Toujours impeccable, quand on est en ville. 

-Alors Jean Pierre! que tal ? où m’emmènes-tu l’oranais? et d’abord qu’est-ce-que tu me veux?
-Attends, ne sois pas pressé, chaque chose en son temps. On va au Cintra, un bar du boulevard Galliéni, c’est tranquille et je crois qu’ils ont la B.A.O la plus fraîche de la ville , sinon on commande une anisette.
-Tu plaisantes, nene, à l’eau salée?
-C’est vrai l’eau de Brédéa est salée. Tu te rends compte, de l’eau avec du sodium, du chlore, de la chaux, de la magnésie, des sulfates. Elle nous nettoyait l’intérieur. Les repas avec cette mixture n’avaient pas besoin d’épices ou presque.

Il faudra attendre ce fameux samedi 19 juillet 1952 d’allégresse populaire, pour boire aux robinets, l’eau douce des monts de Tlemcen de Beni Badhel. En 1941, la situation de l’eau à Oran est très gave. Elle est rationnée, une heure le matin et une heure le soir. Mais ce n’était pas le souci de tout le monde, dans le centre ville. Ceux qui avaient les moyens avaient l’eau de Raz-el-Aïn ou Misserghin qui était excellente. Par contre dans les quartiers, à la fontaine publique, c’était toujours à la limite de l’explosion sociale. La population a augmentée de façon exponentielle a cause de la guerre. Beaucoup de Français étaient venu  s’installer ici . Les allemands occupaient  la France.


Chemin faisant, je le trouve inquiet, plutôt perturbé, non pas à cause de moi, il a des soucis.  Il est intelligent et il se doute un peu de la teneur de notre conversation future. Elle ne va pas voler bien haut. Des paroles amicales, une discussion entre amis de toujours. Il est tracassé par les problèmes d’édition de son livre, « Le Mythe de Sisyphe» qu’il est en train de terminer ici. Le Minotaure qu’il a commencé en 1939, se verra censuré pour cause de virulence contre Oran et les oranais. Oran n’est pas Paris, et la France est occupée.  D’ autre part, la situation faite aux juifs le révolte. Sous Pétain, le décret de naturalisation est abrogé. Les juifs perdent leurs droits, licenciés de l’administration, les médecins sont soumis au numerus clausus, les élèves renvoyés des écoles. Une injustice à laquelle on ne pouvait rester neutres. Benichou André, le professeur de philosophie, ouvre en janvier 41, sous l’impulsion du grand rabbin Eisenbeth, une école privée.  Il prend contact  avec Camus et lui demande d’assurer des cours de Français. Camus accepte immédiatement. Il veut agir contre cette situation inique faite aux juifs.  Heureusement, quelques années plus tard tout rentre dans l‘ordre.  Mais quel gâchis!

Pour nous rendre au Cintra, je décide de prendre par le bd Front de mer, c’est un peu plus loin, mais tellement plus beau. L’abbé Lambert en eût l’idée, Fouques Duparc, le seul maire né à Oran l’a fait. Et puis, c’est un clin d’œil aux écrits de Camus. Ce morceau de boulevard, un véritable balcon sur la mer. Il sera agrandi plus tard. Le regard porte loin, à l’Ouest jusqu’à Mers-el- Kébir et à L’Est jusqu’au Cap roux. Le coup d’œil est royal. Comment peut-on dire après avoir vu cette baie superbe, qu’Oran est laide? C’est incompréhensible, ou alors on est dépourvu de sensibilité artistique. Est-ce-le cas de Camus? non, car il écrira des lignes empreintes de poésie sur les couchers de soleil. On presse le pas, et on arrive enfin, au bar par derrière, près du Lycée Lamoricière.  Le Cintra, un  bar tout en fûts, le luxe.

- On s’assoit ici ? me dit-il.
- Ok, on est bien. Prends plutôt cette table, je devrais dire ce tonneau. Il est plus retiré, on échappera aux fumées des voitures.

Le garçon, impeccable, le chaleco noir et la chemise blanche, vient prendre nos commandes. Deux BAO bien fraîches, dis-je. Messieurs, dit-il un peu pincé, «les BAO ici sont toujours bien fraîches». 

-Tu vois, amigo, je te l’avais dit, les oranais manquent d’humour.

Les deux grands verres de bière arrivent, pleins à raz bord, une mousse épaisse déborde. On boit ensemble une grande gorgée, puis on se regarde; c’est le moment. Il attaque le premier.

Allez Juanico, habla nene, je t’écoute.


Je ne suis pas insensible à cette marque d’affection exprimée dans le ico de mon prénom. C’est une marque d’intérêt et en même temps elle engage l’interlocuteur à la modération.


Albert, tu sais que je t’admire!  pour tes écrits, pour ce que tu représentes. Tu es un crack. Pourquoi as-tu écris toutes ces méchancetés sur Oran? Tu crois que nous les oranais sommes responsables ?  Réfléchis un peu. Même toi, lorsque tu es venu au monde à Mondovi, Alger ne t’a pas attendu pour se construire sans te demander ton avis.  De même pour nous. Et je vais te dire, tu décris une ville en plein développement, sans connaître les raisons des difficultés de son urbanisme. Tu as agis comme les romains: « veni, vidi,vici».  Tu es venu, tu as vu, mais tu n’as pas vaincu. Tu as exprimé, un point de vue de touriste désappointé, mal à l’aise dans une ville que tu n‘as pas voulu comprendre, ni saisir profondément. Tu ne la connais pas. Toi le fils d’espagnole, tu n’as pas vu ici les mêmes espagnols. Tu ne les aimes pas. Tu les a trouvé trop bruyants, vulgaires, et pourtant c’étaient des émigrants de la faim, qui ont trouvé une patrie. Ils sont heureux. il y en a du Sud et du Nord. Il faut croire, que l’histoire espagnole d’Oran, les a tout de suite englouti dans un moule différent de celui d‘Alger. Et puis tu as remarqué, les espagnols sont majoritaires dans la population oranaise, ce qui n’est pas le cas pour Alger. Même Jean Sénac que tu appelais «Hijo mio» l’as-tu vraiment aimé?  Il en doute.  Nous aimons notre ville, tu nous as blessé. Une ville n’est pas qu’immeubles, rues et boulevards. Une ville et tu le sais mieux que nous est tout ce qu’elle ne montre pas.  Les souvenirs de chacun, ce coin de rue, rappelle la promenade avec sa mère, celle-ci, le premier baiser de celui-là dans ce square.  Tu en conviens? tu aimes Alger! tu écris dans Noces,  « à Alger ce sont les amours secrètes avec une ville qui sont annoncées.... Une ville comme une mère, écrit Albert Memmi ne s’oublie pas.






à suivre,

Ma rencontre avec Albert Camus à Oran

Ma rencontre avec Albert Camus à Oran

L’auteur au Bd du front de mer, au loin le Cap Roux dit el cabo russo



L’occupation de l’Algérie, n’était pas programmée en Juillet 1830. Tu le sais. Ce n’est que progressivement et selon les pouvoirs en place, Monarchie, Restauration, Empire, République, que l’idée d’une occupation générale s’est faite. Je ne t’apprends rien.  De plus avec les militaires au pouvoirs, des généraux aux affaires, les détails de la beauté de la ville, la place des constructions ou leur orientation, n’étaient pas leur tasse de thé. Ils avaient d’autres soucis et en premier lieu, celui de combattre pied à pied, pour asseoir leur pouvoir.  Je crois même, j’en suis sûr,  qu’ils n’étaient pas sensibles à cette époque aux superbes couchers de soleils sur la baie d’Oran.  Ils devaient gêner le regard des artilleurs.

Oran doit la forme de son urbanisation à deux éléments incontournables. Le premier, c’est sa morphologie géographique.  Tu as vu! une montagne, des ravins, son fort espagnol, puis plus près le Château Neuf, encore une citadelle et il en manque. Des collines, des vallonnements. Il en a fallu détruire des murs d’enceintes pour agrandir la ville, vers l’Est des falaises, puis vers le Sud. Ensuite et c’est la raison principale, que tu aurais du prendre en compte, c’est que l’Algérie d’une part et Oran d’autre part ont été longtemps sous la tutelle du ministère de la guerre.  Il a fallu attendre les années 1865/70, pour que les maires fussent élus et non nommés ou désignés. C’était une caractéristique particulière à l’Algérie- Tu te rends compte, c’est le décret du 06 septembre 1936 autorisant le déclassement de l’enceinte militaire, qui a permis aux maires et aux conseils généraux élus de disposer des terrains, pour concevoir le plan d’urbanisation. La première décision prise par le maire Lambert, fut de raser les murailles qui enserraient la ville et entreprendre de grands travaux.  Mais c’était trop tard. Les militaires encore attachés au système de défense côtier par les citadelles et l’artillerie, ont eu beaucoup de mal à abandonner leurs prérogatives. C’est aussi la nomination d’un gouverneur civil dépendant du ministère de l’intérieur qui va permettre  ce changement radical. Ce n’est qu’à partir de ce moment que la ville se transforme. On ouvre les boulevards, celui des 40 mètres, on commence le Front de mer, on construit le Marché Michelet, les Halles centrales, la recette municipale, on s’attaque de front au problème de l’eau. Le problème central de la ville.

Moi, j’étais fier de lui dire tout ça. Pour qu’il comprenne, que la ville ne s’est pas faite en un jour. Qu’elle est l‘héritière de multiples invasions, qui ont marqué chacune leur empreinte  historique. Qu’elle a été bridée en quelque sorte. Mais de toutes façons, elle est belle. De grands boulevards sont tracés, des immeubles superbes sont construits. Les halls d’entrée, présentent quelquefois des escaliers à double révolution et disposent d’ascenseurs aux systèmes d’élévation différents; électrique, à eaux, à contre-poids. Les cuivres des boules de rampes d’escaliers reluisent, et souvent les marches sont en marbre de Kléber.

Albert ne disait mot. Il était noyé par ce flot de paroles enflammées. Nul ne pouvait savoir, s’il avait écouté, entendu ? tout ce discours devait l’ennuyer peut-être?  Pour lui, Oran représentait la ville de la fuite, de la gêne financière, de la solitude. Il était ailleurs.  C’était un philosophe, un journaliste, un psychologue, mais c’était aussi un poète. En deux phrases, il transformait une scène en drame ou en comédie. Sa réflexion sur les événements, son regard sur la rue étaient sa source d’inspiration. Il maîtrisait les mots. 
Il buvait sa bière, tranquille, en regardant deux beautés qui venaient de passer juste devant lui, en souriant. A lui? sûrement! il était habitué. Beau gosse, jeune, il avait une énergie à dévorer le monde. Alors vous pensez! deux gamines. Mais je tenais à mon exposé, et le lui dis.

Oui, oui, j’ai entendu. Ton exposé est superbe, mais n’empêche que j’ai raison. Oran tourne le dos à la mer, et il faut faire des kilomètres pour aller se baigner ou même pour mettre les pieds dans l’eau. J’en sais quelque chose. Je vais souvent à Bouisville en vélo. Et pour monter l’escargot, je me crève. Ensuite la costerica, sans dérailleur, je crache les poumons. Heureusement que je suis récompensé à l‘arrivée. Cette mer, ces filles... ces corps bruns sur le sable doré.

J’avais lu cette répartie ailleurs, dans ses carnets?

et je lui répète, la Cueva lagua, tu oublies? et la Tejera, Navalville, Fernandville, les Genêts ? il n’y a pas que Bouisville , Aïn el Turc, ou les Andalouses? D’ailleurs, c’est trop loin pour les oranais des quartiers. Tous n’ont pas de voitures, pour aller dans ses plages un peu chic..

Ah! tu vois, c’est loin la mer, tu le reconnais, dit-il triomphant.

Oui, je le reconnais, mais ce que je n’apprécie pas, c’est la manière dont tu l’as écris.
et tu insistes. C’est comme une accusation. Les oranais non seulement ne méritent pas leur ville, tu l’as écris, mais de plus, elle tourne le dos à la mer, c’est de leur faute.  Moralité, ce sont de buros flacos.

Touché. C’est vrai, vu de cette façon, tu as raison.  Je ne voulais pas accuser les oranais de quelque chose dont ils n’étaient pas responsables. J’ai constaté ce que j’ai vu, et j’ai écris d’une manière générale.  Je n’ai pas tout-à-fait tort, ni tout-à-fait raison. Mais ça reste un beau texte, de belles phrases, non? Comment  pourrais-je écrire autre chose?

Je vais t’aider. Oran, c’est ma ville natale. Je l’ai vu, se construire, se transformer, s’embellir. Le dimanche avec mes parents, on venait voir les chantiers au repos, et on était fiers. On rêvait avec les bateaux au départ des autres villes du monde, mais on n’avait pas envie de partir. C’était notre ville. On ne s’occupait pas trop de savoir, si elle tournait le dos à la mer ou pas. On était trop occupés en semaine, à travailler et travailler dur.  Et puis tu généralises trop. Oran n’est pas une entité, un bloc. Elle est multiple. Quelle diversité! entre les vieux quartiers de la calère, le centre ville et les quartiers périphériques, des populations différentes, des maisons différentes, mais avec le même amour de la ville. Et puis à Oran, dans la journée, les populations multiples se croisent, se mélangent, Arabes, Juifs, Français, Espagnols, Procidiens, mais la nuit tout le monde rentre chez soi.  Même les morts sont séparés dans des cimetières différents. Chacun le sien.

-  A  Alger c’est la même chose.

Je ne sais pas, et ça ne m’intéresse pas. Je te parle d’Oran et de ce que tu as écris. contre nous N’as-tu pas l’impression d’avoir mélangé, ta maladie, ton ennui, ton inactivité professionnelle, ta situation familiale? d’avoir mis tout ça dans le même sac, et écris dans cet état d’esprit? Tu nous as fait payer tout çà. Un règlement de compte, de ton mal-être par ville interposée!

C’est possible, Jean Pierre. Je retire, une partie de ce que j’ai dis. Tu m’as convaincu. Ce n’est pas la faute des oranais, et Oran n’est pas que le centre ville. Et c’est vrai aussi que je ne connais pas les quartiers. D’ailleurs, je ne connais pas encore le quartier juif.
Tu te rends compte, le plus vieux quartier de la ville haute. Il fut construit fin XVIIIème et selon un plan géométrique  précis.
- Je me suis baladé sur la rue d’Arzew, la rue Alsace Lorraine et alentour. Je connais bien les plages de l’Ouest. J’ai maudit plus d’une fois à bicyclette, le faux plat après la pêcherie, puis la montée vers le fort Lamoune, mais je n’ai jamais eu le temps d’aller plus loin. Je le regrette maintenant.

Je te pardonne, Albert, et comme je te comprends. Povretico que tu es. Mais en même temps, je t’admire. Pouvoir écrire, réfléchir, entouré de cette catelfa de femmes, quel courage! quelle patience! La phrase que tu as écrite: «"Ce qui m'intéresse, c'est d'être un homme."  dans ton livre, La Peste, me va comme un gant. Je pense comme toi.

En disant cela, j’imaginais la façon dont il vivait. Entre sa belle-mère, sa nouvelle épouse,  la femme de ménage, les amies, dans un appartement relativement petit et sans toute l’intimité désirée. On ne devait pas rigoler tous les jours.  De plus, Albert avait sa fierté comme on dit chez nous. Il n’avait pas un sou, et vivre aux crochets de la famille de son épouse, le rendait malade. C’est une des raisons qui le poussait à déserter le logis pour aller se promener à la plage et échapper à son ennui. Les deux appartements communiquaient, il n’avait jamais l’impression d’être chez lui. Son beau père, Mr Faure, à qui on devait l’ensemble monumental des immeubles qui se situent entre le numéro 61 et 73 de la rue d’Arzew sur les arcades Audéoud, avait bien fait les choses. Il s’était réservé deux appartements de surface différente et il les avait prévu communicants.  Albert et Francine,  vivaient dans le plus petit. Mais s‘ennuyer à Oran avec sa jeune épouse ? ils s‘étaient mariés à Lyon, le 3 décembre 1940.

De plus, ici à Oran, sans ses amis, sa ville, son journal, sans occupations salariées, il se morfondait. Il n’aimait pas Oran. C’était clair.  C’était un étranger chez nous.  Pourtant, cette étape obligée, en temps de guerre, va lui inspirer les plus belles pages de son œuvre:  la Peste, il termine le Mythe de Sisyphe. Mais le mystère demeure pour le Minotaure ou la Halte d’Oran, qu’il entreprend en 1939, soit près de 2 ans avant de venir à Oran, et déjà plein d’une critique acerbe contre la ville et ses habitants.  Quel cadeau « empoisonné» pour notre ville. Grâce à lui, elle est connue dans le monde entier. Le critique japonais, Hiroki Toura (La quête et les expressions du bonheur dans l’œuvre d’Albert Camus-2004) souligne que dans le Minotaure, Camus se moque de la ville et de ses habitants. De même, dans les premières pages de la Peste justement, il n’est pas tendre avec elle: « A  première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire. (...) La cité elle-même, on doit l'avouer, est laide. (...) Un lieu neutre (...), on s'y  ennuie». Il va se rattraper par la suite dans ses carnets, et lui rendre un peu de justice, bien que rien n’échappe à son regard malveillant. Même les devantures des boutiques l’intéressent: « Ville extravagante où les boutiques de chaussures exposent d'affreux modèles en plâtre de pieds torturés«   Naturellement à Alger, ce genre de boutiques n’existe pas Pour les pieds torturés des algérois par la naissance ou accident, les plâtres son présentables.  Ils sont beaux. Et puis

Devant ce flot de critiques négatives, il se reprend et s’interroge: il écrit:  «à première vue.../....Oran n’est pas une ville ordinaire.   Ce qui sous-entend, on l’espère  qu’ «à deuxième vue», on lira quelque chose de mieux!  Si on lit bien, Le plus gros Pourtant, une grande partie de son œuvre littéraire est créée à Oran, on le sait maintenant. Alors pourquoi cette haine de la ville et de ses habitants?  C’est étrange. Je pense qu’ Oran n’a rien à voir dans cette affaire. Ce n’est qu’un faire valoir. Ce qui doit être pris en compte, pour comprendre ces écrits négatifs, c’est son état psychologique, sa situation personnelle, familiale et financière, et aussi ses lectures des actualités de la ville, qu’il a nécessairement faites avant de venir. Il est perturbé. Sans oublier que nous sommes en guerre, et qu’une épidémie de typhus va s’abattre sur Oran en 1941.  Ce qui entre autre va donner des idées à l’auteur pour son roman «La peste».


Mais, et cela est plus grave, d’autres ont émis des analyses bien plus pertinentes que les miennes.

Son œuvre,  depuis le prix Nobel qu’il obtient en 1957, est traduite dans des dizaines de langues. Il est considéré comme le chef de file des humanistes de l’après-guerre. Sa renommée éclipse celle de nombre d’écrivains célèbres, comme Jean Paul Sartre. Il reste toute sa vie, un combattant de la Liberté. Il n‘a pas fait la guerre pour les raisons que vous connaissez, mais il a été un résistant à l’envahisseur dans son engagement à Combat, le journal de son ami Pia, dans lequel il écrivit des articles fulgurants, sous des pseudonymes, censure oblige.  On lutte avec des armes, mais aussi avec sa plume.  Dans ce rôle, il fut déterminant. Il eût sa place.  Quel homme!





à suivre,

Ma rencontre avec Albert Camus à Oran

Publié le 24/08/2009 à 12:22 par badiacaricaturesafn
Ma rencontre avec Albert Camus à Oran

La place des Victoires - Sous les arcades à droite vivait A.Camus


Toutes ces considérations si importantes, me venaient à l’esprit, alors que nous étions attablés dans cette brasserie huppée d’Oran. Pendant ce temps, Camus griffonnait sur une feuille de papier quelques lignes. Peut-être avait-il recopié quelques une de  mes remarques?  peut-être après cette conversation, et comme pour s’excuser, lui doit-on cette description admirable du soir qui descend sur la baie d’Oran, une des plus belles du monde, et que l’on peut lire dans ses carnets d’avril 1941: « Tous les matins d'été sur les plages ont l'air d'être les premiers du monde. Tous les soirs d'été prennent un visage de solennelle fin du monde. Les soirs sur la mer étaient sans mesure. (...) Le matin, beauté des corps bruns sur les dunes blondes. (...). Nuits de bonheur sans mesure sous une pluie d'étoiles. Ce qu'on presse contre soi, est-ce un corps ou la nuit tiède ? (...) Ce sont des noces inoubliables."    Ah! que c’est beau!  et encore, il ne parle que des plages du littoral,  ce qui est réducteur.

Et moi, je renchéris: je n’oublierais jamais les matins et les soirs à la cueva lagua, à la Tejera, à Navalville, les piropos lancés aux filles, nos fou-rires, notre bonheur d’être vivants, le soleil qui descend sur la pierre plate, la pierre Napoléon ou la pierre carrée, un poème sans rimes.  Cette lumière si douce qui entoure les pêcheurs maintenant silencieux:  nos pères.


Il est temps de partir. On remonte le boulevard Galliéni, pour aller à la place d’Armes prendre le tram. Albert ne dit rien, il est pensif. Tout ce discours enthousiaste pour la défense de la ville l’a bouleversé. J’ai pu enfin dire ce que j’avais sur le cœur, sans haine, sans agressivité. Camus appartient aussi aux oranais. Je le lui dis. Je ne pouvais pas laisser passer «toutes ces idioties» dites sur Oran, comme l’écrit Gary. Il le comprend. En arrivant sur la place, les lions sont superbes à cette heure. Grâce au soleil de midi, ils brillent de mille feux,  et imposent leur tranquille stature.  Je regard Camus, je regarde les lions. Il a compris. Moi je trouve ces bronzes magnifiques, c’est un peu de Paris à Oran. Pour lui, c’est une œuvre sans importance. Il n’aime même pas Caïn le sculpteur qu’il trouve sans esprit.  Décidément, rien ne ici ne trouve grâce à ses yeux. Mais que lui a-ton fait, pour mériter une telle position?



On s’est tout dit. Ou plutôt, je lui ai tout dit et fermement. Il est temps pour moi, de repartir vers mon quartier. Lui va rejoindre Francine, ses écrits et ses pensées philosophiques. Le désire-t-il? j’en doute maintenant.  Et puis il veut partir en France. D’ailleurs, il a déjà une promesse d’emploi à Paris.

Quelle journée mémorable!  Pour moi, elle se termine avec un goût amer, car les paroles s’envolent, mais les écrits restent.  Et les écrits d’Albert Camus sur Oran sont définitifs. On ne peut plus rien changer.  Son séjour dans notre ville, aura duré 15 mois. 15 mois riches en production littéraire. Oran à son corps défendant et malgré tout ce qu’il a écrit sur elle de négatif a été sa muse. La Halte d’Oran ou le Minotaure, et l’incident de la plage ? le meurtre, n’a-t-il pas été un modèle pour l’étranger? et le Mythe de Sisyphe? . Et Oran de la Peste? Oran restera le témoin de cette œuvre immense.

C’est tout cela que je veux retenir, l’œuvre littéraire. Oran notre ville natale, regarde enfin vers la mer. Le boulevard du front de mer a été allongé. Une véritable invite pour les yeux un lieu de rencontre pour les familles, et un enchantement pour le promeneur. 

Pouvons- nous après ces cruels écrits sur notre ville rester amis? Jean Sénac, dit Yayia el Ouahrani, comme il aimait à se présenter lui-même et que Camus appelait «hijo mio», a écrit en parlant de Camus  "Comme il y a l'impossible amour, il y eut l'impossible amitié."
Je crois qu’il a raison.  Camus se situait ailleurs, dans son monde, un monde de création de réflexion supérieure, un monde d’inventeur de pensée. Peux-t-il rester une place pour le quotidien? l’amitié ? la rencontre fortuite ? Je ne crois pas.  Les fondateurs d’idées nouvelles ne le font pas exprès, ils sont ailleurs.

Camus, Roblès, Sénac, Badia, et tant d’autres anonymes, tous orphelins, élevés par une mère espagnole, femme de ménage. La guerre de 14/18 et celle de 39/45 a fait des ravages de ce côté-ci de la Méditerranée. Il faut s’en souvenir.





Le lecteur a compris. Je suis oranais et j’aime ma ville natale. Je la défends. Je m’inscris dans le bataillon des oranais, qui écrivent sur Oran et expriment tout leur amour pour cette ville.  Je suis maintenant assez âgé et j’ai roulé ma bosse. Je n’ai jamais encore rencontré des gens qui aiment aussi fort leur ville. Et pourtant, 47 ans sont passés, depuis que nous l’avons perdue

Je situe cette rencontre imaginaire en juin 1941. Mais cette année,  ce vendredi 12 juin c’est écrit derrière la photo, j’avais 4 ans. Ma mère m’a emmené chez Raoul le photographe du Bd Clémenceau. Puis, nous sommes allés rendre visite à ma tante Marie, qui habitait la place des Victoire. On devait aller ensembles voir un film au Vox, un des 52 cinémas d’Oran, au 122 de la rue d’Arzew. Nous sommes passés devant l’appartement de Camus. Il était là. Un peu plus bas sur la droite. L’immeuble des Faure est à gauche. En levant la tête, j’aurais pu voir ce jour-là, Albert Camus au balcon , comme vous le voyez sur la photo. Donc, ma rencontre!? presque possible! presque vraie?

Mon séjour n’est pas terminé, j’ai un autre rendez-vous aussi important dans les prochains jours à Oran. Je vais rencontrer, Miguel de Saavedra Cervantes, un homme à la vie extraordinaire, un homme sympathique. Je l’aime. Il est à Oran, en mission spéciale, envoyé du Roi. Un espion en quelque sorte. Il est arrivé cet hiver de 1581. Il a 34 ans et déjà un passé douloureux avec cette terre d’Afrique. Lui, «l’Espagnol courageux». Il faut que je me dépêche, on m’a dit qu’il ne reste pas longtemps. Il habite à la Marine, logé dans un  fort.

Petit lexique pour les lecteurs non-oranais.

-Pierre Pardo dit de Linarès, né en 1924 à Chollet, un quartier d’Oran, est un chanteur et musicien de flamenco et de musique arabo-andalouse ...
-qui se tapait: expression qui signifie,manger avec plaisir
-Pos- on mettait ce mot à toutes les sauces. Il souligne une affirmation
-Emmanuel Roblès: né le 4 mai 1914 à Oran (Algérie) et mort le 22 février 1995 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)- écrivain- dirige la collection Méditerranée au Seuil. En 1947, il fonde la revue littéraire» Forge».
-Ay Oran- hymne d’amour à la ville d’Oran.
-de gorra: s’inviter, s’incruster dans une fête sans y être invité.
-Diego Bernal:  un excellent guitariste de musique populaire espagnole.
-Gaouri- en arabe désigne l’étranger, le chrétien.
-B.A.O- Brasserie algérienne d’Oran, fondée par la famille alsacienne Heintz.
-Con el palo- avec le bâton
-Povretico que tu es, con  esa calor- mon pauvre ami, avec cette chaleur.
-no te enfades varon, ya vengo- ne te fâche pas, Homme, j’arrive.
-burla: plaisanterie
-ola, nene, como il va le tapon de balsa? -salut petit, comment va le bouchon de vidange du bassin? 
-pataouète- langue des algérois, constitué des différents idiomes de la capitale. Voir Lanly- le Français parlé en Algérie (Thèse).
-Jaïco- langue des oranais, de même constitué des idiomes de la ville mais avec une prédominante espagnole.
-Amédée Moréno- auteur pied-noir «du parler d’Oran et des oraniens»- 2 tomes. Livres incontournables.
-chaleco -gilet
-buras - âneries
-leche- purée, zut, expression courante, usuelle.
-que tal- comment vas-tu?
-Juanico- diminutif affectueux de Jean
-habla nene-  parle petit
-ico- suffixe affectueux-
-l’escargot- une route pentue en lacet qui part du veux port d’Oran pour rejoindre  les plages- c’est une des premières routes construites par le génie militaire.
-costerica- la petite côte
-Povretico que tu es- mon pauvre ami.

Aïe! Oran, Oran de mi vida,

Publié le 06/08/2009 à 16:51 par badiacaricaturesafn Tags : Oran la Mairie les Lions marbre onyx Algérie
Aïe! Oran, Oran de mi vida,

Oran majestueuse dans sa baie, règne sur la mer. 

 

 

Les insolites d’Oran


La Mairie, ses Lions et le nom d’Oran

Tous les ora
nais connaissent et aiment leur Mairie, surtout leurs lions qui en gardent l’entrée. Beaucoup d’entre eux, ont gravi l’escalier d’honneur et glissé affectueusement leurs mains sur les larges rampes brillantes et lisses, en Marbre-onyx d’Algérie1.  C’est un matériau translucide, compromis entre le marbre et l’albâtre. Il existe en de nombreuses teintes et variantes (blanc, jaune, rouge, vert).

Mais ne le dites pas aux oranais, déjà et depuis 1875,  les rampes du grand escalier de l’opéra de Paris était du même marbre-onyx des environs d’Oran, et les lions de notre mairie ne sont qu’une copie de ceux de la mairie de Paris.

Mais tout ceci mérite une explication, et un peu d’histoire.

La Mairie de la Place d’Armes.

Mr Floréal Mathieu, maire d’Oran de 1878 à 1882 et de 1886 à 1892, a le privilège de poser la première pierre de la Mairie d’Oran le 14 juillet 1882, et de procéder à son inauguration, malgré une interruption de son mandat pendant 4 ans2. Ce même jour, il avait enfoui dans le trou, que viendrait cacher la pierre, comme le veut la coutume, une boite de plomb contenant une plaque d’argent et quelques pièces de monnaies de l’époque. 

La construction de l'Hôtel de Ville fut achevée en 1888.  Mr Pallu3, nouveau propriétaire des carrières de marbres-onyx d‘Algérie, avait fait don à la ville, de toute la matière première nécessaire à la construction de l’escalier intérieur dit d’honneur, rampes et balustres comprises. 

Pour la petite histoire, et bien avant, Jean-Louis-Charles Garnier a dessiné le Grand Escalier de 30 m de hauteur pour l’Opéra de Paris inauguré le 15 janvier 1875, en s’inspirant de celui du grand théâtre de Bordeaux, et qui sera réalisé par le fondeur Ch. Matifat avec, comme on l’a écrit plus haut,  le marbre-onyx de la province d’Oran. Seule la rampe monumentale aux balustres de griotte rouge portant une main courante de marbre-onyx, reposant sur un limon vert de Suède, vient d’Algérie, les marches sont en marbre blanc d’Italie.

Et les lions?

Le conseil municipal, décidément très actif, contacte un des plus grands sculpteurs animaliers connu à cette époque. Il s’agit d’Auguste Caïn4. Il veut des lions. Le sculpteur accepte le marché. Les perspectives de la mairie d’Oran et celles de la Mairie de Paris, côté 5 rue Lobau, sont presque semblables. Grand escalier à l’avant, façade monumentale, et lions majestueux assis, de part et d’autre.  Mais, Caïn, est un artiste, et il ne veut pas deux œuvres identiques.  Il décide donc de procéder de la même façon, en y ajoutant toutefois une légère différence. Ceux de Paris ont la queue qui passe devant la patte arrière. Ceux d’Oran auront la leur qui se déroulera derrière.  Cela n’empêche pas que ce sont des copies.

Malgré cela, je trouve que les nôtres sont mieux. La position de la queue du lion d’Oran, indique une activité, il est prêt à bondir, tandis que l’autre, le parisien, est placide, il est au  repos.  Les lions seront installés à leur place en 1888.
 

Albert Camus dont on dit qu’il n’aima pas Oran, ni ses  monuments, déclara à propos d’Auguste Caïn, en 1939, que son «œuvre était sans importance» dans laquelle «l’esprit n’y est pour rien, et la matière pour beaucoup. La médiocrité veut durer par tous les moyens, y compris le bronze5 » IL se rattrapera par la suite. Grâce à son livre «La peste», il contribue à faire connaître Oran dans le monde. Son jugement sur notre belle ville natale est sévère. Elle ne le mérite pas.


Et le nom d’Oran ?

Quand au nom d’Oran6, qui signifierait «Les Lions»,  il viendra à point pour expliquer la présence de ces deux lions à La mairie. Selon les langues, plusieurs orthographes et significations existent et s’accordent en cela:  Arabe, Touareg, Libico-berbère. 

La vérité est plus complexe, nous l’aborderons dans un autre article.

 

 

Notes de l’article

1 Mines de marbre, exploitées par les Romains, dans la province d’Oran. Mises en exploitation en 1875 par Jean Baptiste DEL MONTE,un marbrier de Carrare (Italie), en 1849.
2 F.Mathieu 1878/1882, M. Rey, fin 1882/1883, P.Ayme  en 1884,F.Mathieu 1886/1892 (Les maires d’Oran)
3  JB Delmonte avait cédé ses droits en 1858 à la COMPAGNIE des MARBRES-ONYX d'ALGÉRIE fondée par Alphonse Pallu.
4 Auguste Caïn- (1821 - 1894) Paris.
5 Oran la joyeuse (page 267)   Par Alfred Salinas- 2004
6 D’après Edgard Attias dont je signale son travail sur l’histoire de la ville d’Oran, il n’y aurait pas de rapport entre ces lions et  l’étymologie du nom de la ville que l’on connaîtra 50 ans plus tard.   

Commentaires sur les invasions

Publié le 31/07/2009 à 14:55 par badiacaricaturesafn Tags : Oran Tlemcen Cisnéros Barberousse Marx la Fontaine
Commentaires sur les invasions

Commentaires sur les invasions à partir de la fable de la Fontaine:

 

Le chat, la belette et le petit lapin.


Je cherchais cette fable, car elle illustre de manière fine, intelligente et historique, la folie des hommes de pouvoir.

 

Les exemples sont nombreux en histoire: Lorsque deux frères ou des ennemis se disputaient le même territoire, ils avaient coutume de faire appel à un troisième larron, étranger de préférence pour les aider à éliminer l'autre. Malheureusement, à chaque fois s'est produit le même scénario et ce, à plusieurs siècles d'intervalles et  dans toutes les parties du monde.  La Fontaine, quel  visionnaire!

 

Voici quelques exemples pour ce que je connais: en Israël, à moins 47 Avant JC, c'est la guerre civile. Une des fraction nomme une délégation qui se rend en Italie pour signer un pacte militaire avec Rome.  Celui-ci stipule, "Si l'une des 2 parties est attaquée, l'autre doit l'aider".  De nos jours, c'est comme si le Liechtenstein ( capitale-Vaduz) signait le même pacte avec la France.  La suite est évidente. Les Romains ont tout de suite compris le bénéfice de l'opération et leur présence dans ce territoire leur ouvre la porte de la conquête de la Syrie et des environs- ce qu'ils firent, en détruisant du même coup les juifs et leur temple en 70 après JC. ( Voir Flavius joseph- la guerre des juifs et surtout  Mireille Hadas lebel- prof à la Sorbonne qui a  écrit: «Rome, la Judée et les Juifs"- admirable écrit).

 

En 710, en Espagne wisigothique, et pour faire court: Rodéric renverse Achille (le fils du feu roi Wittiza). Achille ou (Akhila) se réfugie à Ceuta chez Julien, gouverneur d'Algésiras- Celui-ci entre en conflit avec Rodéric et prend contact avec Musa ibn Nusaïr, gouverneur de la province arabe d’Ifriqya. En Avril 711, il lève une armée de 7000 berbères dont 2 à 3000 juifs  et un millier d’africains noirs, qui envahit le sud de l'Espagne jusqu’à Lyon, Mâcon etc... la suite, on la connaît.

 

Ils mirent tout le monde d'accord dans une expansion fulgurante, aidés par les juifs de l'intérieur qui se vengèrent des conversions forcées de 611 (ce qu'ils payèrent chèrement en 1492). L’affaire a duré + ou - 8 siècles. En Algérie, les roitelets qui se faisaient une guerre incessante appelèrent à la rescousse les arabes en 632. La suite on la connaît.

 

Les habitants d’Alger inquiets de constater la progression des frères Barberousse, sur leur territoire, appellent un Cheikh étranger, Sélim at-tumi pour l’arrêter.  En 1516, les espagnols de Ferdinand, construisent un Fort ( Fort l’Empereur) sur l’île, le Peñon, pour tenir Alger.  Le même Sélim, ne pouvant faire à ce nouveau danger, demande l’aide d’Aroudj Barberousse. Celui-ci accourt, prend le pouvoir, lui prend sa femme et le tue. La suite on la connaît.

 

Enfin à Tlemcen à la mort du roi Abou Ziyane, ses fils nombreux se disputent le trône. L'un d'eux fait appel à Barberousse dit Bras d’argent1 (1463/1518), pour les départager. Celui-ci vient d'Alger en 15172, avec une énorme escorte, entre à Tlemcen, écoute les doléances, tue toute la famille royale,puisinstalle un  Bey pour le représenter et repart pour Alger. (C'est l'époque de Charles II, futur Charles Quint). L'armée espagnole qui occupe Oran a vent de l'affaire, et avec l'aide de Abou Hammou, un des rois de Tlemcen défait, va au-devant de lui à son retour et le tue à Rio Salado en 1518).  La suite on la connaît.
 
Et l’Histoire continue:  Marx disait que les hommes faisaient leur propre histoire, mais ajoutait-il, ils ne savent pas qu’ils la font.

 

Note- 1-Barberousse est une déformation du nom de Arudj qui se prononce en turc Oruç. Baba signifie, Père, d'où le Père Oruç =Babaoruç. En français, on prononce: Barberousse.

2- Le cardinal Ximénès de Cisnéros, qui entra à Oran en 1509, meurt cette même année.